Première bachelière en génie forestier au Québec, Thérèse Sicard grandit à Québec et se passionne dès sa tendre enfance pour les sciences, fascinée par la vie de Marie Curie. Enfant unique et fille d’un ingénieur forestier, elle développe un certain intérêt pour cette profession qui est, à l’époque, entièrement réservée aux hommes. Élève très douée, elle complète son cours classique chez les religieuses de Jésus-Marie et souhaite vivement poursuivre ses études à l’Université Laval.
Peu de temps après le décès de son père, elle confie à Zéphyrin Rousseau, ami de la famille et doyen de la Faculté de foresterie et de géodésie : « si j’étais un garçon, je me dirigerais vers la foresterie. » Il n’en faut pas plus à ce doyen progressiste pour l’inviter à joindre les rangs des étudiants en génie forestier de l’Université Laval, seule institution à offrir le programme. Elle accepte cette invitation avec une grande fierté, sentiment que partage sa mère, dont elle reçoit l’appui indéfectible depuis toujours et encore davantage depuis qu’elles ne sont plus que toutes les deux.
Malgré le grand étonnement de ses professeures religieuses à l’annonce de son inscription en foresterie, Thérèse demeure confiante et déterminée. Bien que sa décision ne fasse pas l’unanimité, elle écoute son cœur, suit son instinct et entreprend ses études avec audace et conviction.
C’est ainsi qu’au cœur des années 50, Thérèse Sicard devient la toute première femme à étudier au pavillon Abitibi-Price, bâtiment qui trône au milieu des champs du campus de l’Université Laval. Thérèse côtoie alors des jeunes hommes provenant des quatre coins de la province. Étudiante talentueuse, travaillante et appliquée, elle développe de grandes aptitudes pour les travaux de laboratoire, notamment en pathologie forestière. Durant quatre ans, elle participe aux cours, aux séminaires, aux activités de terrain et de laboratoire comme le font tous les garçons de sa cohorte. Toujours traitée avec grand respect et d’égal à égale, Thérèse s’intègre auprès de ses collègues masculins sans difficulté. En grands gentlemen, ceux-ci veillent sur elle et en viennent parfois même à la considérer comme une petite sœur.
En 1956, diplôme en main, Thérèse Sicard devient la première femme ingénieure forestière du Québec. Son parcours est d’autant plus remarquable qu’il faudra attendre douze années avant qu’une deuxième femme obtienne le même diplôme!
Après ses études universitaires, Thérèse rencontre un ingénieur forestier qu’elle épouse et qu’elle accompagne jusqu’à Baie-Comeau, où il poursuit sa carrière. À l’époque, ce n’est pas dans les mœurs de voir les femmes occuper un emploi et encore moins réaliser des études universitaires. Suivant le modèle prédominant des femmes québécoises du temps, Thérèse met donc sa carrière sur pause et fonde sa famille. Elle élève ses deux filles et son garçon en leur inculquant des valeurs égalitaires, leur offrant à tous les trois les mêmes chances pour réaliser leur plein potentiel. L’une de ses filles suivra d’ailleurs les traces de ses parents en étudiant, elle aussi, le génie forestier.
Au milieu des années 60, la famille quitte la Côte-Nord et revient s’installer à Québec. Alors que ses enfants sont plus vieux et plus autonomes, et que son désir de mettre ses talents et compétences au service de la science forestière l’habite toujours, Thérèse se sent prête à renouer avec sa passion : la foresterie. Elle reprend alors peu à peu ses activités professionnelles.
En 1975, Thérèse Sicard devient la première femme à être nommée membre du Conseil consultatif canadien des forêts, lequel émet des recommandations auprès de la ministre fédérale de l’Environnement, madame Jeanne Sauvé. À la même époque, elle est approchée par l’Institut canadien de recherches en génie forestier (FERIC) qui la recrute afin de traduire en français les rapports scientifiques et techniques rédigés par ses chercheurs majoritairement anglophones. De plus, à l’instigation de FERIC, elle entreprend, en collaboration avec l’Office québécois de la langue française, des recherches en terminologie forestière qui mèneront à la préparation et à la rédaction de trois lexiques spécialisés, soit en mécanisation forestière, en récolte de la biomasse et dans le domaine du sciage. Madame Sicard se consacre à la minutieuse tâche de traduction de rapports techniques et scientifiques jusqu’à l’âge de 75 ans!
Son parcours remarquable a été plusieurs fois reconnu. Récipiendaire de la médaille d’honneur de l’Ordre des ingénieurs forestiers en 1996, elle est également honorée en 2008 par la Ville de Québec, en compagnie d’autres femmes scientifiques, dans le cadre du 400e anniversaire de sa fondation. Thérèse Sicard a définitivement marqué le Québec par son audace en devenant la première femme à choisir le génie forestier. Elle est fière d’avoir osé, d’avoir ouvert des portes et montré aux femmes qui se passionnent pour la foresterie, l’écologie et le développement durable qu’il était possible de faire des études dans ces domaines traditionnellement masculins.
Elle se remémore d’ailleurs la chance qu’elle a eu de bénéficier d’une bourse d’études au début de son parcours universitaire. Sans cette bourse, malgré tout son talent, elle avoue qu’elle ne serait peut-être pas allée jusqu’au bout de ses études en foresterie. Aujourd’hui, madame Sicard est consciente de l’importance d’un tel soutien pour la réussite et la persévérance. Animée du désir d’inspirer les jeunes femmes et de poser un geste significatif, elle crée la Bourse Thérèse-Sicard, visant à soutenir les étudiantes en génie forestier qui s’engagent dans leur collectivité et font rayonner la foresterie.
Thérèse Sicard est une femme avant-gardiste, une ingénieure forestière, une philanthrope. Elle laisse au Québec et à l’Université Laval un héritage inestimable.