Écrivaine, passionnée de lecture et détentrice d’une maîtrise en français de l’Université Laval, Chantal Fleury a animé pendant quelques années le Club de lecture de l’Association des diplômés. Aujourd’hui, elle partage deux suggestions de lectures qu’elle a particulièrement appréciées.
Deux coups de cœur pour nous faire voyager par la lecture.
Pour traverser les situations difficiles de la vie, deux stratégies s’offrent aux lecteurs, soit la plongée au cœur d’univers qui font écho à nos tourments, soit la distraction. Je vous propose aujourd’hui deux ouvrages qui répondront à votre envie de miroirs, ou de fuite.
Plongeons d’abord. Née en 1924, féministe de gauche, femme passionnée et transgressive, l’auteure Goliarda Sapienza a écrit L’Université de Rebibbia après un séjour qu’elle fit en prison pour vol de bijoux. Le mot prison vous donne la nausée, car il évoque le confinement? Teinté d’humour et de commentaires à saveur politique, le récit séduit pourtant grâce à l’intelligence et à la beauté de l’écriture, mais grâce surtout à la profonde humanité avec laquelle la narratrice dépeint les personnages qu’elle a côtoyés dans cet univers carcéral bigarré.
« Ici, les échelles de valeurs de chacun se manifestent avec une clarté absolue et il n’y a pas moyen de cacher aux autres, et encore moins à nous-mêmes, notre nature. »
À sa parution, ce récit a vite remporté un succès autant populaire que critique. Si vous aimez, n’hésitez pas à lire l’Art de la joie, publié après sa mort, survenue en 1996, et considérée comme une des œuvres majeures de la littérature italienne contemporaine.
Évadons-nous maintenant. Vous reposez le livre que vous aviez en main, chez le libraire, en voyant le mot Nouvelles sous le titre qui vous avait d’abord attiré? Vous préférez être emporté au fil d’une histoire qui vous habitera des jours voire des semaines dans la longueur d’un temps ajouté à votre quotidien? C’est pourtant ce que vous trouverez dans le recueil de la Québécoise Françoise Major Le nombril de la lune, dont les vingt-trois nouvelles se déroulent à Mexico. Il ne s’agit pas d’une évasion couleur turquoise à laquelle je vous convie, mais d’un voyage dans la somptueuse et violente mégapole. D’une écriture précise et efficace, qui va droit à l’essentiel, ces récits nous entraînent dans un monde inquiétant non dépourvu d’humour.
« Quand ma belle-mère nous visite de Monterrey, je dors sur le plancher du salon. Elle vient régner sur les lieux comme sur son fils, de qui elle partage, cela va de soi, la couche. On daigne me donner un matelas de camping. Il ménage les os de mes hanches. »
Françoise Major a remporté en 2014 le prix Adrienne-Choquette pour son recueil Dans le noir jamais noir.
Attention lecteurs, mais vous le savez déjà, c’est en cherchant notre reflet dans le miroir que l’on trouve parfois la fuite, à l’inverse, c’est dans l’évasion que l’on se retrouve au plus profond de soi.
Chantal Fleury
Goliarda Sapienza, L’Université de Rebibbia, Le Tripode.
Françoise Major, Le nombril de la lune, Le Cheval d’août.