C’est par une belle journée ensoleillée d’automne, dans une salle du Cercle de la Garnison de Québec, que s’est tenue une activité de reconnaissance pour les partenaires et proches collaborateurs de la Chaire de leadership en enseignement Roméo Dallaire sur les conflits civils et la paix durable de l’Université Laval. L’activité, qui s’est déroulée le 23 octobre, était coorganisée par la Faculté des sciences sociales et la Direction de la philanthropie et des relations avec les diplômées et diplômés de l’Université Laval. Elle a accueilli une quarantaine d’invités, dont le lieutenant-général et sénateur à la retraite, Roméo Dallaire, une figure majeure dans la prévention des conflits armés.
D’entrée de jeu, le lieutenant-général a insisté sur le fait qu’établir une paix durable va plus loin que les trêves que l’on voit depuis des siècles. «Ultimement, a-t-il poursuivi, il faut aller au-delà d’une paix durable pour atteindre notre vrai objectif comme humanité, qui n’est pas de survivre sur cette planète, mais au contraire de s’épanouir dans l’univers. Mais on ne pourra jamais le faire si on n’a pas réussi à établir une paix durable dans l’ensemble de l’humanité. C’est une condition essentielle pour arrêter de s’autodétruire. Nous sommes tous des humains.»
Selon lui, il n’y aura pas de paix durable si les humains ne comprennent pas qu’une révolution est en marche dans nos sociétés. «D’une part, les jeunes ont le désir de former un tout ensemble, a-t-il expliqué. Ils sont sans frontières, impatients et mobiles, et ils veulent faire avancer la cause de la paix en participant à quelque chose de concret. Attendez-vous à de l’activisme d’envergure. D’autre part, les femmes. Les hommes ont fait tout ce qu’ils ont pu pour la cause de la paix dans des institutions religieuses, de gouvernance, économiques, qu’ils ont dominées avec une philosophie paternaliste. Les femmes, au lieu d’imiter les hommes, amènent au contraire leur philosophie, leurs capacités et leurs orientations. Je pense qu’une communion entre hommes et femmes, une nouvelle philosophie de leadership absolument cruciale, avec le dynamisme des jeunes, globalement, permettront une paix durable. Ça va peut-être prendre deux siècles, mais qu’est-ce que deux siècles quand ça fait 20 000 ans qu’on se massacre les uns les autres? Dans ce contexte, je pense que la chaire avec son orientation de paix durable, c’est le futur. Et qu’on arrête de faire des trêves pour bâtir le futur.»
Dans son allocution, le titulaire de la chaire, Alexandre Pelletier, professeur au Département de science politique, a décrit Roméo Dallaire comme un militaire, un humanitaire et un défenseur infatigable de la paix. «Formé à la guerre classique pendant la Guerre froide, a-t-il dit, le général Dallaire a assisté impuissant à un génocide en 1994 au Rwanda alors qu’il dirigeait la mission de maintien de la paix de l’ONU. Cela l’a profondément marqué. Par la suite, il a tenté de réparer ce qu’il appelle «le nouvel ordre mondial en désordre».
Les travaux de recherche du professeur Pelletier portent sur les guerres civiles, les processus de paix et les conflits ethnoreligieux. Ce spécialiste de la région de l’Asie du Sud-Est s’intéresse particulièrement à l’Indonésie et au Myanmar, où il a effectué plus de deux ans de recherches sur le terrain. Au fil du temps, un lien d’amitié s’est créé entre Roméo Dallaire et lui. Un coup de foudre intellectuel, disent certains.
Les avocats et les journalistes
Karine Ruel est directrice des affaires juridiques chez Avocats sans frontières Canada. Elle faisait partie d’un panel composé de quatre experts venus échanger sur les enjeux liés à la paix durable dans le monde. Son organisme a pour mission de contribuer à la mise en œuvre des droits des personnes en situation de vulnérabilité, par le renforcement de l’accès à la justice et à la représentation juridique.
«On travaille sur les «presque conflits», comme en Haïti, et sur les «post-conflits», comme au Mali, a-t-elle expliqué. En Haïti, on accompagne des organismes de la société civile dans la défense des droits de personnes victimes de violences, notamment sexuelles. Au Mali, on travaille beaucoup pour que la voix des victimes soit reflétée dans les grands dossiers sur les conflits armés, pour que ces personnes se réapproprient leurs droits.»
Laura-Julie Perreault est chroniqueuse aux affaires internationales au quotidien La Presse. Selon elle, les journalistes, par leur travail de terrain dans les zones de conflits, font la promotion de la connaissance de ce qui se passe en ces lieux hostiles. «Un des principaux atouts de notre présence, a-t-elle indiqué, est de rendre l’actualité visible. Quand les journalistes sont dans des zones de conflits, leurs propres gouvernements ont beaucoup plus tendance à prêter attention à ce qui se passe. On voit que notre impact est gigantesque par l’argent qui est demandé par l’ONU et qui est versé par ces gouvernements. Et aussi sur les politiques qui seront mises de l’avant.»
Un autre aspect du travail de journaliste est qu’il contribue à humaniser. «C’est notre rôle, a-t-elle affirmé, dans l’optique que la déshumanisation est le prérequis vers la violence. Humaniser devient une façon de prévenir la violence.»
Les chercheurs universitaires et les militaires
Kyle Matthews est directeur général de l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia. Son intervention a porté sur le projet Will to Intervene, qui visait à améliorer la capacité des gouvernements et des décideurs publics de prévenir les atrocités de masse.
Chercheur principal du projet, celui-ci a d’abord rappelé que l’idée venait de Roméo Dallaire. «Pourquoi le monde n’est pas venu en aide au Rwanda en 1994? demandait le lieutenant-général. Cinq ans plus tard, l’OTAN est descendue sur le Kosovo où il y avait des massacres de civils. Pourquoi, alors qu’une majorité de pays ont signé la Convention de l’ONU pour la prévention et la répression du crime de génocide, quand vient le temps de les arrêter, on voit une problématique?»
Selon lui, l’ONU est importante. Mais ce sont les gouvernements nationaux qui ont tous les pouvoirs. «Les gouvernements ont une capacité de réagir, par exemple contre les changements climatiques, mais ce n’est pas la même chose pour les atrocités de masse, a poursuivi Kyle Matthews. Notre rapport a été présenté à Washington et à Ottawa. Il affirme la nécessité de regarder la situation de façon humanitaire, mais aussi de façon stratégique en proposant des politiques et en faisant des collaborations avec d’autres pays.»
Le lieutenant-colonel Carl Chevalier est le commandant du Centre de formation pour le soutien de la paix. Il a abordé les initiatives et les programmes réalisés au centre dans la formation des troupes, et la façon dont ils ont évolué pour répondre aux besoins des conflits armés modernes.
«Être engagés dans des opérations de paix ne veut pas dire qu’on ne participe pas aux combats, a-t-il expliqué. Nous formons des soldats canadiens, mais aussi des soldats d’autres pays. Ils proviennent actuellement de 15 pays. Nos activités comprennent trois volets. Nous sommes constamment à l’affût d’innover. Nous sommes aussi dans l’environnement informationnel. Tout passe par l’information. Pour nous, l’utilité d’une chaire de recherche est qu’on puisse opérationnaliser les résultats de recherche, qu’on fasse le lien entre l’humanitaire et les forces de sécurité. Donc un partenariat, c’est vraiment d’aller chercher ces données-là et être en mesure de les professionnaliser dans la formation des soldats.»
La chaire, en quelques mots
La Chaire de leadership en enseignement Roméo Dallaire sur les conflits civils et la paix durable se positionne comme un pôle dans le paysage de l’enseignement et de la recherche en français sur les conflits civils et la promotion de la paix durable.
Dans son allocution de clôture, la rectrice Sophie D’Amours a souligné que les objectifs de cette chaire s’inscrivent dans le mandat du futur Carrefour international Brian-Mulroney. «La Chaire, a-t-elle ajouté, apportera une meilleure connaissance sur les enjeux globaux de notre temps.»
Pour son fonctionnement, la chaire bénéficie du soutien financier de partenaires tels que la Caisse de dépôt et placement du Québec, Intact Corporation financière, l’Organisation internationale de la Francophonie, ainsi que Jean Cloutier, vice-président international et opérations chez Fairfax Financial Holdings.