Une chronique de Marie Dufour
Dans ma dernière chronique, je vous ai parlé de Mondes inuit, l’exposition physique partie en itinérance au Musée Château Ramezay à Montréal. Figurez-vous que la fabuleuse collection de Bernard Saladin d’Anglure fait l’objet d’un autre projet plutôt audacieux : une exposition virtuelle sur ces objets du Nord, réalisée en cocréation avec des partenaires du Nunavut.
L’aventure commence au printemps 2020, alors que l’équipe de la Bibliothèque, accompagnée de Caroline Hervé, professeure au Département d’anthropologie, tente sa chance auprès de Musées numériques Canada pour obtenir un soutien financier qui lui permettrait de réaliser une exposition virtuelle à partir des objets de la collection Saladin d’Anglure. Une exposition qui mettrait en lumière la richesse de la culture des Inuits en conjuguant leur patrimoine matériel avec leur culture contemporaine. L’originalité de ce projet ? La cocréation. Le fait de concevoir le produit virtuel avec les Inuits.
Description fine du projet, calendrier détaillé, équipe de réalisation, budget, lettres d’appui… La demande est enfin déposée à l’automne 2020. Puis arrive la réponse de Musées numériques Canada. Comme la surprise au fond de la boîte de céréales. On obtient le feu vert pour aller de l’avant. À la Bibliothèque, on s’affaire à démarrer cet ambitieux projet qui durera trois ans.
Premier défi de taille : tisser des liens avec les communautés du Nord pour que celles-ci soient investies, dès le départ, dans l’élaboration de l’exposition. À commencer par le choix du titre, la facture visuelle du site, le scénario de l’exposition. Or, on n’établit pas ce genre de relation à distance. Il est vite apparu essentiel de se rendre au Nord pour présenter le projet et trouver les bons collaborateurs. Sous la direction de la professeure Hervé qui mène des recherches sur les sociétés inuit depuis plus d’une dizaine d’années, deux étudiantes, Valentine Ribadeau Dumas et Marie-Pierre Thibault, ont été désignées pour se rendre à Igloolik. Dans leurs bagages figurent quelques objets de la collection qui serviront de déclencheurs pour amorcer la collaboration. Là-bas, Valentine et Marie-Pierre ont notamment rendez-vous avec Guillaume Saladin d’Anglure, fils de Bernard, qui a vécu plusieurs années au Nunavut et qui introduira les membres de notre équipe auprès de personnes clés de cette communauté.
Quelques échos de ce voyage
Après un voyage laborieux ponctué d’attente et de vols retardés, Valentine et Marie-Pierre sont finalement arrivées à destination. Presque en même temps que le Nunavut Quest, une compétition de traîneau à chiens sur une distance de plus de 400 km entre Arctic Bay et Igloolik. Rapidement, les deux étudiantes ont constaté que leur séjour coïncidait avec une foule d’activités communautaires. À l’arrivée des mushers se sont ajoutés un spectacle d’Artcirq, un tournoi de hockey et des jeux extérieurs impliquant toute la communauté isolée depuis un bon moment en raison de la pandémie.
C’est au Nunavut Arctic College que Valentine et Marie-Pierre ont rencontré Jack Haulli, un professeur inuit qui deviendra notre principal interlocuteur pour le projet d’exposition virtuelle. Enthousiaste à l’idée de cette collaboration, cet enseignant a regardé avec intérêt les quelques objets de la collection transportés jusqu’au Nord avec grand soin. À plusieurs reprises, il a manifesté son contentement au regard des conditions de conservation offertes à l’Université pour la préservation de cette collection unique. Valentine et Marie-Pierre ont également rencontré la directrice de l’école secondaire d’Igloolik ainsi qu’une professeure de culture. Encore ici, les photos et les objets présentés ont suscité beaucoup de réactions.
En somme, la collaboration naissante avec les gens du Nord paraît très prometteuse. Au moment d’écrire ces lignes, Valentine et Marie-Pierre sont toujours à Igloolik. En compagnie du professeur Haulli, elles discutent de la suite du projet. Il est notamment question qu’une petite délégation du Nunavut vienne à Québec pour voir l’ensemble de la collection. Nous n’en sommes qu’au début de l’aventure de la cocréation. Mais déjà, nous pouvons nous réjouir de ces liens tissés avec les communautés nordiques. Cette initiative s’ajoute à l’ensemble des efforts consentis pour multiplier les passerelles entre le Nord et le Sud. Elle permet surtout de mieux connaître l’Autre. N’est-ce pas la seule manière de combattre les préjugés et de vivre en harmonie sur un même territoire ?
Photos : Marie-Pierre Thibault